Le Monde: Wal-Mart aux prises avec les syndicats chinois

10 April 2014

China Labour Bulletin is quoted in the following article. Copyright remains with the original publisher.

LE MONDE | 09.04.2014
Par Harold Thibault (Shanghaï, correspondance)

Ce qui paraîtrait évident ailleurs, mais improbable en Chine, s'est pourtant produit : au magasin Wal-Mart de Changde (Hunan, centre), le représentant syndical a pris la défense des travailleurs.

Le 5 mars, la direction avait annoncé la fermeture effective, sous deux semaines, de cet hypermarché jugé peu rentable. Le géant américain de la distribution a engagé une politique de redéploiement sur le complexe marché chinois.

Une majorité d'employés s'est opposée à l'indemnisation proposée par Wal-Mart – un mois de salaire plus un autre mois par année d'ancienneté et, pour ceux qui signaient sans tarder, une prime de 500 yuans (59 euros). Très peu auraient cependant pu faire valoir la moindre ancienneté, cette grande surface n'ayant ouvert qu'en 2009. Ces personnels ont aussitôt monté un dossier pour obtenir une procédure d'arbitrage.

Ils se sont en fait surtout révoltés contre la méthode utilisée. Chaque employé s'est en effet vu traité de manière individuelle. Wal-Mart, qui ferme vingt-neuf magasins en Chine, souhaitait éviter une négociation collective, afin de ne pas créer de précédent.

Mécontents, les employés ont continué de pointer dans les bureaux administratifs, situés au cinquième étage du bâtiment qui abrite l'hypermarché, même après la cessation de l'activité commerciale, le 21 mars. Ils ont aussi tenté, mais sans succès, d'empêcher le déménagement du stock.

Soixante-treize des 135 personnes licenciées refusent toujours l'indemnité avancée par leur ancien employeur. Ils se sont rassemblés derrière Huang Xingguo, le président de branche du syndicat officiel, la Fédération nationale syndicale de Chine.

EXPÉRIMENTATIONS

Cette structure est financée et contrôlée par Pékin, qui ne tolère pas d'organisations civiles indépendantes de défense des salariés. Elle est entièrement vouée au service des priorités du pouvoir, à savoir la stabilité politique et la croissance économique.

Pas question ici de piquets de grève qui pourraient rompre l'harmonie nécessaire au déroulement des plans de carrière des responsables locaux du Parti communiste ou faire fuir les investisseurs. D'autant que les grèves et d'autres protestations ouvrières se multiplient en République populaire.

Joint par téléphone, Huang Xingguo confie qu'il avait jusqu'à récemment une idée assez limitée de son rôle de syndicaliste : « J'organisais des activités pour souder les équipes, des distributions de prix lors des fêtes traditionnelles. C'était plutôt un jeu. »

Le syndicaliste Huang Xingguo devant le Wal-Mart de Changde (Hunan), le 26 mars.
Le seul fait qu'il soit élu à la tête de la branche du syndicat relève de la nouveauté. Dans la majeure partie des entreprises du pays, le syndicaliste, qui va surtout faire de la figuration, est nommé… par son patron.

Mais les débrayages – l'organisation China Labour Bulletin en a relevé 216 depuis le 1er janvier – sont de plus en plus fréquents dans « l'usine du monde ». Or, une grève sur les chaînes de production de Honda dans la très industrielle province du Guangdong (Sud-Est), au printemps 2010, avait mis en avant le manque d'outils de discussion lors d'un conflit social. En mai 2012, les travailleurs de l'usine électronique Ohms, à Shenzhen, avaient obtenu d'élire eux-mêmes leur représentant syndical.

Quelques autres expérimentations ont eu lieu depuis. Et en avril 2013, Huang Xingguo était à son tour élu par les employés à la présidence du syndicat du Wal-Mart de Changde, un processus qui demeure très marginal dans les autres entreprises chinoises.

RÉSISTANCE

Après l'annonce de la fermeture de l'hypermarché, M. Huang s'est découvert, à 42 ans, une âme de militant. Victime, comme des centaines de milliers d'autres Chinois, des restructurations des entreprises d'Etat, à la fin des années 1990, il est devenu caissier au Wal-Mart Changde en 2009.

Et il a rejoint le syndicat officiel en 2010. « Wal-Mart n'a aucun respect pour les individus. Ses employés sont payés juste au-dessus du salaire minimum. Ils sont faibles et n'ont aucun moyen de protéger leurs droits », dit-il.

Voix du gouvernement, le vice-secrétaire du Comité des affaires juridiques et légales de la ville, lui a rappelé la loi pour l'intimider : ne pas perturber l'ordre, ne pas manipuler d'autres individus, ne pas répandre de rumeurs sur Internet. Et la police a empêché les employés de perturber la fermeture de l'hypermarché.

Mais les responsables du syndicat d'Etat dans la ville ne l'ont pas réprimandé. L'occasion était peut-être trop belle, pour une organisation souvent accusée de ne jamais se positionner en faveur des ouvriers, de laisser éclater la résistance, surtout si elle joue contre un emblème de l'Amérique…

On se souvient qu'en 2006, la Fédération syndicale chinoise s'était déjà félicitée avec grand bruit d'avoir réussi à contraindre Wal-Mart d'accepter des branches syndicales dans ses magasins en Chine. Mais elle s'était bien gardée d'engager le débat sur son affiliation au pouvoir davantage qu'aux ouvriers.

Pour Liu Kaiming, fondateur à Shenzhen d'une association de soutien aux travailleurs, il faut se garder de tirer des conclusions hâtives. « Le Wal-Mart de Changde est un cas à part. On ne peut pas dire, après cette affaire, que le syndicat officiel défend les ouvriers », dit ce connaisseur des difficultés du marché du travail dans la Chine industrielle. « C'est d'abord le fait d'un individu. Il se trouve qu'il est du syndicat, mais dans les usines du pays, jamais le syndicat n'a porté les revendications des travailleurs », ajoute M. Liu.

Cependant, Geoffrey Crothall, porte-parole à Hongkong de l'organisation China Labour Bulletin, relève que cette affaire a eu le mérite « de montrer que les travailleurs de Chine, et désormais y compris les syndicalistes de la base, résistent aux employeurs abusifs et cela ajoute encore davantage de pression sur la fédération syndicale officielle pour qu'elle se réforme et commence à agir comme un réel syndicat ».

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